Désormais nous savons à quel point le mérite de ce Zazen est élevé et immense. Cependant une personne bornée pourrait faire part de ses doutes et demander:
« Il y a beaucoup de portes qui conduisent au Dharma du Bouddha. Pourquoi recommandez vous seulement l’assise en Zazen? »
Je dirais:
- Parce que c’est la porte authentique du Dharma du Bouddha.
Si quelqu’un demandait:
- Pourquoi est-ce selon vous la seule porte authentique?
Je dirais:
- Le grand maître Shakyamuni a transmis exactement, comme tradition véritable, cette méthode subtile pour atteindre la vérité, et les Tathagatas des trois temps ont tous atteint la vérité à travers Zazen. Donc le fait que Zazen soit la seule porte authentique a bien été transmis et reçu. Ajoutons que les patriarches d’Inde comme de Chine ont tous atteint la vérité à travers Zazen. C’est pourquoi j’enseigne à présent aux êtres humains comme aux dieux que Zazen est la porte authentique.
Si quelqu’un demandait:
- Ce qui repose sur la réception de la transmission authentique de la méthode subtile du Tathagata, ou sur le fait de suivre les traces des maîtres anciens, est certainement au-delà de la compréhension de l’homme du commun. Lire les sutras et réciter le nom des Bouddhas, cependant, peut créer naturellement les causes et les conditions de l’illumination. Mais en ce qui concerne s’asseoir paresseusement sans rien faire, comment cela peut-il constituer le moyen d’atteindre l’illumination?
Je dirais:
- Si vous pensez que le samadhi des Bouddhas, le grand et suprême Dharma, est comparable à s’asseoir paresseusement sans rien faire, vous calomniez gravement le Grand Véhicule. Une telle illusion est si profonde que c’est comparable à flotter sur l’océan est affirmer qu’il n’y a pas d’eau. En Zazen nous sommes d’ores et déjà assis, stables et pleins de gratitude, dans le samadhi des bouddhas, jouissant de notre propre Éveil. N’est-ce pas là en soi l’accomplissement de notre vaste et grande nature? Il est déplorable que vos yeux ne se soient pas encore ouverts et que votre esprit demeure dans les brumes de sa propre stupeur.
Quoiqu’il en soit, la condition d’esprit des Bouddhas est inconcevable: l’intelligence ne peut l’atteindre. A fortiori comment l’incrédulité ou la sagesse ordinaire le pourraient-elles? Seules des personnes de grande détermination et à la foi juste peuvent y entrer. Quant aux incrédules, même si on leur enseigne, il leur est difficile de recevoir – même sur le Mont des Vautours il y eut des personnes au sujet desquelles le Bouddha a dit: » elles pourraient tout aussi bien se retirer. » En règle générale, lorsque la foi juste apparaît dans notre esprit, nous devrions pratiquer et apprendre. Sinon, autant rester couché. Déplorez-le si vous voulez, mais depuis les temps anciens le Dharma a toujours été abrupt.
J’ajouterais ceci: pouvez-vous me citer une seule vertu qui ait été atteinte par des pratiques telles que lire des sutras et réciter les noms des Bouddhas? Il est douteux de penser qu’agiter la langue et élever la voix aient la vertu de l’œuvre du Bouddha. Lorsque l’on compare de telles pratiques au Dharma du Bouddha, elles paraissent extrêmement pâles et même inconsistantes.
Qui plus est, il est en usage actuellement de compulser les sutras pour clarifier les critères que le bouddha aurait enseignés sur l’éveil instantané ou graduel ; or ceux qui pratiquent en accord avec l’enseignement atteignent invariablement l’expérience réelle de l’Éveil ! C’est complètement autre chose qu’espérer acquérir la vertu de la Bodhi par de vains efforts intellectuels. Tenter d’atteindre la vérité du Bouddha par l’action de la bouche en chantant comme un crétin -même mille ou dix mille fois- revient à espérer atteindre le sud d’Etsu en empruntant un chariot qui va au nord, ou encore vouloir forcer une cheville carrée dans un trou rond. Lire de telles phrases en ignorant la pratique est comme étudier la médecine sans apprendre à fabriquer les remèdes. À quoi bon? Ceux qui chantent sans fin sont comme des grenouilles coassant en jour et nuit dans une rizière au printemps.
En définitive tout cela est parfaitement vain. Il est encore plus difficile pour les personnes qui sont perturbées en profondeur par la réputation et le profit d’abandonner de telles sornettes. L’esprit qui s’attache au gain est très enraciné, il devait en être de même dans les temps anciens. Comment ne serait-ce pas le cas dans le monde actuel? C’est ce qui est le plus regrettable.
Sachez simplement que lorsqu’un pratiquant suit directement un maître qui a atteint la vérité et clarifié son esprit, lorsqu’il se conforme à cet esprit dans son expérience et sa compréhension, et donc reçoit la transmission authentique du Dharma subtil des sept Bouddhas, alors l’enseignement exact apparaît clairement, est reçu et protégé. Ceci est au-delà de la compréhension des enseignants du Dharma qui s’en tiennent aux mots. Tranchez donc vos doutes et vos illusions, et en suivant l’enseignement d’un maître véritable, atteignez l’expérience du samadhi de la joie de son propre Éveil, en pratiquant l’assise en Zazen et en poursuivant la vérité.
Si quelqu’un demandait:
- Le sutra du Lotus et l’enseignement du sutra de la Guirlande, qui ont été transmis dans notre pays, sont les expressions ultimes du Grand Véhicule. De plus, dans la secte Shingon, cette transmission est passée directement du Tathagata Vairocana à Vajra-sattva, de sorte que cette transmission de maître à disciple ne doit rien au hasard. Pour citer les principes dont elle discute: » l’esprit ici maintenant est bouddha » et » cet esprit devient bouddha« , elle proclame que nous recevons la juste réalisation des cinq Bouddhas en une seule assise, sans avoir à pratiquer pendant de nombreux kalpas. On peut dire que c’est là le raffinement ultime du Dharma du Bouddha. Alors qu’y a-t-il de si excellent dans la pratique que vous recommandez uniquement, à l’exclusion des autres?
Je dirais:
- Sachez qu’entre bouddhistes nous ne débattons pas de l’éminence de telle ou telle théorie, ni ne spéculons sur la légèreté ou la profondeur du Dharma; il suffit seulement de savoir si la pratique est authentique ou contrefaite. Certains sont entrés dans le courant sur l’invitation de l’herbe, des fleurs, des montagnes et des rivières. D’autres ont reçu et protégé le sceau du Bouddha en se saisissant du sol, des pierres, du sable et des graviers. De plus le Dharma vaste et grand est encore plus abondant que la multitude des phénomènes. L’activation de la grande roue du Dharma est contenue dans chaque molécule. Puisqu’il en est ainsi, les termes » l’esprit ici maintenant est bouddha » sont seulement l’image de la lune dans l’eau et l’idée selon laquelle » seulement s’asseoir est devenir bouddha » n’est également qu’un reflet dans le miroir. Nous ne devrions pas nous laisser impressionner par des paroles habiles.
En revanche, en vous recommandant la pratique dans laquelle l’Éveil est directement expérimenté, j’ai l’espoir de vous exposer la vérité subtile que les patriarches bouddhistes ont transmise de personne à personne, et de faire ainsi de vous de véritables hommes de la Voie. En ce qui concerne la transmission du Dharma du Bouddha, nous devons toujours suivre un Maître qui a réellement expérimenté la boddhéité : suivre un lettré qui s’en tient aux textes ne suffira jamais ; c’est seulement un aveugle parmi d’autres.
Dans ce qui a trait à la lignée de la transmission authentique des patriarches bouddhistes, nous révérons tous les Maîtres sages qui ont atteint la vérité et expérimenté l’Éveil, et nous soutenons fermement qu’ils ont demeuré dans le Dharma et l’ont protégé. C’est pourquoi, lorsque des shintoïstes des écoles yin ou yang viennent se dévouer à la Voie, et lorsque des arhats qui ont expérimenté l’état ultime viennent à la recherche du Dharma, nous leur délivrons sans écart la méthode pour clarifier leur mental. Voilà quelque chose dont on n’a jamais entendu parler concernant les autres lignées.
Les disciples du Bouddha devraient s’en tenir seulement au Dharma du Bouddha. De plus, nous devons garder à l’esprit que personne n’a jamais manqué un seul instant de la nature de Bouddha, et que de même à l’avenir nous pourrons toujours la réaliser et en jouir. En même temps, parce que nous ne pouvons pas la percevoir directement, nous sommes enclins à engendrer toutes sortes de conceptions oiseuses, et du fait que nous les poursuivons comme si elles étaient réelles, la grande vérité nous échappe.
A partir de ces idées, toutes sortes d’abstractions émergent : nous considérons le cycle des causes et des effets et les vingt-cinq sphères de l’existence et les idées des trois chemins et des cinq véhicules ou de posséder ou non la nature de Bouddha nous jettent sans fin dans le trouble. Inutile de croire que la maîtrise de tels concepts puisse être le véritable chemin de la pratique bouddhiste !
Simplement assis en Zazen en revanche, nous reposant sur l’exacte posture du Bouddha, et laissant passer tous les phénomènes, nous dépassons toutes notions d’illusion, de réalisation, d’émotion et de rétribution, et nous sommes instantanément au-delà du profane et du sacré. D’un seul coup nous rejetons tout cadre intellectuel, recevant la boddhéité et en jouissant.
Si quelqu’un demandait :
- Parmi les trois préceptes il y a l’état d’équanimité, et parmi les six paramitas la paramita du dhyana : deux pratiques enseignées à tous les bodhisattvas dès le départ et qu’ils pratiquent, qu’ils soient intelligents ou stupides. Le Zazen dont vous parlez est sûrement seulement l’une de ces pratiques. Pourquoi dites-vous que le véritable Dharma du Tathagata est concentré seulement dans cette pratique de Zazen ?
Je dirais:
- Cette question surgit seulement parce qu’on a appelé « Secte Zen » la méthode suprême et excellente : le trésor de l’œil de la vraie Loi, qui est la seule grande affaire du Tathagata. Sachez que ce nom de « Secte Zen » fut établi en Chine et à l’est de notre pays; il n’en a jamais été question en Inde. Lorsque le Grand Maître Bodhidharma s’établit tout d’abord au temple Shaolin des pics Sung-shan, puis s’assit face au mur pendant neuf années, les moines et les laïcs ignorants du véritable Dharma du Bouddha pensèrent qu’il n’était qu’un brahmane qui avait fait de Zazen un culte. Par la suite, les patriarches des générations suivantes se dévouèrent tous constamment à Zazen. Les gens ordinaires voyant cela, à cause de leur sottise et de leur méconnaissance de la réalité, parlèrent sans réfléchir de Secte Zazen. De nos jours, éliminant le préfixe « Za », ils parlent simplement de Secte Zen. Cette interprétation ressort clairement des écrits des patriarches.
En tout état de cause Zazen n’est pas l’état de stabilité du dhyana décrit dans les six paramitas et les trois préceptes. Le fait que ce Dharma du Bouddha soit l’objet légitime de la transmission de personne à personne à travers les âges n’a jamais été dissimulé. Jadis, durant le sermon sur le Mont des Vautours, lorsque le Tathagata certifia le Dharma du Vénérable Mahakashyapa, lui transmettant le trésor de l’œil de la Vraie Loi et l’esprit imperceptible du nirvana, la méthode suprême et excellente, et à lui seul, la cérémonie fut attestée directement par une multitude d’êtres célestes depuis le monde supérieur, si bien qu’il est impossible d’en douter. C’est un principe universel que ces êtres célestes aient à charge de protéger et de maintenir le Dharma du Bouddha éternellement ; leurs efforts n’ont jamais failli. Sachez simplement que cette transmission de Zazen est la vérité complète du Dharma du Bouddha : rien ne peut lui être comparé.
Si quelqu’un demandait :
- Pourquoi, lorsque l’on aborde la question de l’entrée dans l’Éveil, les bouddhistes nous recommandent-ils de pratiquer seulement la méditation, qui n’est qu’une des quatre formes de conduite juste ?
Je dirais:
- Il est difficile de recenser toutes les manières dont les anciens Bouddhas ont successivement pratiqué depuis les temps anciens pour expérimenter l’Éveil. Si nous voulons absolument trouver une raison, nous devons comprendre que notre pratique en elle-même est la raison. Il n’y en a pas d’autre. Cependant un Maître ancien a loué l’assise en disant : « S’asseoir en Zazen est la porte joyeuse et paisible du Dharma. ». Alors pour conclure la raison si on veut est que des quatre formes de conduite juste, l’assise est la plus paisible et la plus joyeuse. En outre elle n’est pas la voie empruntée par un ou deux bouddhas ; tous les bouddhas et tous les patriarches sans exception détenaient cette voie.
Si quelqu’un demandait :
- En ce qui concerne cette pratique de Zazen, une personne qui n’aurait pas encore expérimenté et compris le Dharma du Bouddha pourrait certainement en faire l’expérience en poursuivant la vérité en Zazen. Mais que peut espérer tirer de Zazen une personne qui a d’ores et déjà clarifié l’authentique Dharma du Bouddha ?
Je dirais:
- On ne raconte pas ses rêves à un fou, et il est délicat de confier des rames à un montagnard ; néanmoins je me dois de dispenser l’Enseignement. Penser que la pratique et l’expérience de l’Éveil sont deux choses distinctes est une idée de non-bouddhiste. Dans le Dharma du Bouddha la pratique et l’expérience de l’Éveil sont totalement une seule et même chose. Bien : pratiquer est aussi expérimenter l’Éveil ; en conséquence, un débutant dans la poursuite de la vérité est le corps complet de l’Éveil.
C’est pourquoi les patriarches bouddhistes ont enseigné, dans les avertissements qu’ils nous ont légués, de ne pas attendre d’Éveil hors de la pratique. Et la raison en est, encore une fois, que la pratique elle-même est l’expérience directement accessible de l’Éveil originel. Car la pratique est expérience, et cette expérience est illimitée ; et comme l’expérience est la pratique, la pratique n’a pas de commencement. C’est exactement ainsi que le Tathagata Shakyamuni et le Vénérable Patriarche Mahakashyapa furent accueillis et employés par la pratique qui est expérience. Le Grand Maître Bodhidharma et le patriarche fondateur Daikan furent de la même manière tirés et dirigés par la pratique qui est expérience. Tous les exemples de ceux qui ont demeuré dans le Dharma du Bouddha et l’ont maintenu sont ainsi.
La pratique qui n’est jamais séparée de l’expérience existe déjà bel et bien: ayant par bonheur reçu la transmission de personne à personne de notre part d’héritage de la pratique subtile, nous qui sommes débutants dans la poursuite de la vérité possédons directement, dans l’état sans intention, notre part de l’expérience originelle.
Sachez que, de manière à nous empêcher de souiller l’expérience qui n’est jamais séparée de la pratique, les patriarches bouddhistes nous ont enseigné à maintes et maintes reprises de ne pas pratiquer avec relâchement. Lorsque nous nous oublions dans la pratique subtile, l’expérience originelle nous remplit les mains ; lorsque le corps s’abandonne à l’expérience originelle, la pratique subtile agit dans tout le corps.
Qui plus est, j’ai constaté de mes propres yeux en Chine que les monastères Zen de bien des régions avaient tous construit des dojos pouvant accueillir cinq ou six cents pratiquants, voire même mille ou deux mille moines, et qu’on les encourageait à s’asseoir en Zazen jour et nuit. Le dirigeant d’un de ces ordres n’était autre qu’un maître authentique qui avait reçu le sceau de l’esprit du Bouddha. Lorsque je le questionnai sur la grande affaire du Dharma du Bouddha, j’entendis le principe selon lequel la pratique et l’expérience ne sont jamais deux stades distincts.
Pour cette raison, en accord avec l’enseignement des patriarches Bouddhistes, et suivant en cela la voie d’un Maître authentique, il encourageait tout-un-chacun à poursuivre la vérité en Zazen ; non seulement les pratiquants de son ordre, mais également tous les amis de bien à la recherche du Dharma, toutes les personnes qui nourrissaient l’espoir de rencontrer la véritable réalité dans le Dharma du Bouddha, sans discriminer entre les débutants et les anciens, sans distinction entre les gens du commun et les religieux.
N’avez-vous jamais entendu les mots d’un Maître ancien qui disait : « Ce n’est pas qu’il n’y ait pas pratique-et-expérience, mais cela ne doit pas être souillé. » ? Un autre Maître disait : « Qui voit la Voie pratique la Voie. » Rappelez-vous donc bien que même après avoir réalisé l’Éveil, il est nécessaire de pratiquer.
Si quelqu’un demandait :
- Les maîtres qui ont jadis disséminé les enseignements à travers notre pays sont tous allés dans la Chine des Tang et y ont reçu la transmission du Dharma. Pourquoi, à cette époque, ont-ils négligé ce principe, et seulement transmis des enseignements intellectuels ?
Je dirais:
- La raison pour laquelle les maîtres du temps passé, guides des êtres humains, n’ont pas transmis cette méthode, est que le temps n’en était pas venu.
Si quelqu’un demandait :
- Ces maîtres des époques précédentes comprenaient ils cette méthode?
Je dirais:
- S’ils l’avaient comprise, ils l’auraient fait connaître à tous.
Si quelqu’un demandait :
- On affirme que nous ne devrions regretter ni la vie ni la mort, car il existe une manière très rapide de s’en libérer, qui consiste à connaître la vérité qui est que l’essence mentale est éternelle. En d’autres termes, ce corps physique, qui est né, se meut nécessairement vers la mort ; mais cette essence mentale ne meurt jamais. Une fois que nous avons été en mesure de reconnaître que l’essence mentale qui n’est pas concernée par l’apparition et la disparition existe dans notre propre corps, nous la voyons comme l’essence originelle. Pour cette raison le corps n’est qu’une forme provisoire ; il meurt ici et renaît là, ne restant jamais constant. Mais l’esprit est éternel ; il est immuable dans le passé, le futur ou le présent. Savoir ceci est appelé ‘Se libérer de la vie et de la mort.’ Ceux qui connaissent ce principe brisent à jamais le cycle de la vie et de la mort et lorsque leur corps meurt, ils entrent dans le monde spirituel. Lorsqu’ils parviennent au seuil du monde spirituel, ils sont parés de vertus merveilleuses pareilles à celles des bouddhas-tathagatas. Même si nous connaissons dès à présent ce principe, notre corps demeure celui qui a été formé par notre comportement illusoire depuis les âges anciens, de sorte que nous ne sommes pas pareils aux saints. Ceux qui ignorent ce principe transmigreront à jamais dans le cycle des vies et morts. C’est pourquoi nous devrions nous empresser de comprendre ce principe selon lequel l’essence mentale est éternelle. Même si nous avons passé notre vie entière dans l’assise paresseuse, que pourrions nous espérer y gagner ? La doctrine que je viens d’exprimer est bien en accord avec la vérité des bouddhas et des patriarches, n’est-ce pas ?
Je dirais:
- La vue que vous venez d’exprimer n’est absolument pas le Dharma du Bouddha ; c’est la vision erronée du non-bouddhiste Senika. D’après cette vue non-bouddhiste, il y a une intelligence spirituelle qui existe à l’intérieur de notre corps. Lorsque cette intelligence rencontre les circonstances extérieures, elle peut discriminer entre l’agréable et le désagréable, le juste et le faux, elle peut connaître la douleur et l’irritation, la souffrance et le plaisir – toutes ces capacités seraient celles de l’intelligence spirituelle. Lorsque ce corps meurt, cependant, l’esprit s’extrait de la peau et renaît ailleurs ; donc même s’il semble qu’il meure ici il naît là. Pour cette raison nous le qualifions d’immortel et éternel. Telle est la vue de ce non-bouddhiste.
Mais si nous considérons que cette vue est le Dharma du Bouddha, nous sommes encore plus égarés que celui qui ramasse une tuile ou un caillou et les prend pour de l’or ; l’illusion est même trop honteusement profonde pour cette comparaison. Le Maître National Echu de la grande Chine des Tang nous a sévèrement mis en garde contre une telle hérésie.
Si nous mettions sur un même plan la présente vue fausse selon laquelle l’esprit est éternel mais la forme périssable, et le Dharma splendide des bouddhas, pensant que nous avons échappé à la vie et à la mort alors que nous promouvons au contraire l’ignorance qui est la cause originelle de la vie et de la mort, ne serions nous pas parfaitement stupides ? Voilà qui serait infiniment pitoyable.
Sachant que cette vue erronée n’est que la vue erronée de non-bouddhistes, nous ne devrions même pas y prêter l’oreille. Néanmoins, je ne peux m’empêcher de souhaiter vous protéger de cette vue erronée, et c’est seulement par compassion que je vais m’y efforcer.
Donc sachez bien que, dans le Dharma du Bouddha, comme le corps et l’esprit sont originellement une réalité unique, proclamer que l’essence et la forme sont non-deux a été reçu et entendu tout aussi bien en Inde qu’en Chine, et nous ne devrions pas même oser en douter. De plus, dans les lignées qui débattent de l’existence éternelle, tous les phénomènes sont considérés comme existence éternelle : le corps et l’esprit ne sont pas séparés. Et dans les lignées qui débattent de l’extinction, tous les phénomènes sont extinction : l’essence et la forme ne sont pas séparés. Comment pourrait-on dire, au contraire, que le corps est mortel mais l’esprit éternel ? Cela n’est-il pas contraire à la juste raison ?
Qui plus est, nous devrions réaliser que vivre-et-mourir est en soi le nirvana. Les bouddhistes n’ont jamais parlé d’un nirvana qui serait en dehors de vivre-et-mourir. Et quand bien même nous imaginerions à tort que comprendre la formule selon laquelle l’esprit devient éternel en se libérant du corps est équivalente à la sagesse de Bouddha qui est libération de la vie et de la mort, l’esprit qui est conscient de cette compréhension apparaît et disparaît néanmoins momentanément, de sorte qu’il n’est pas du tout éternel. Par conséquent ce principe n’est-il pas douteux ? Nous devrions y réfléchir soigneusement.
Le principe selon lequel le corps et l’esprit sont une seule et même réalité a été constamment enseigné dans le Dharma du Bouddha. Donc comment se pourrait-il, au contraire, que tandis que le corps est soumis à l’apparition et à la disparition, l’esprit quitte indépendamment le corps et n’apparaisse ni ne disparaisse ? S’il existait un moment où ils sont une seule réalité, et un autre moment où ils ne le sont pas, alors il s’ensuivrait que l’enseignement du Bouddha fût erroné. J’ajoute que si nous pensons que la vie et la mort sont des choses dont il faille se débarrasser, nous offensons le Dharma du Bouddha. Comment pourrais-je ne pas vous mettre en garde contre cela ?
Sachez que la lignée du Dharma qui affirme que dans le Dharma du Bouddha la condition essentielle de l’esprit inclut universellement toutes les formes, décrit l’ensemble du vaste monde du Dharma en incluant tout, sans séparer l’essence et la forme, et sans débattre de l’apparition et de la disparition.
Il n’y a aucun état – pas même la bodhi ou le nirvana – qui soit distinct de la condition essentielle de l’esprit. Tous les dharmas, la multitude des phénomènes et l’accumulation des existences, sont totalement un seule et même esprit, sans exclusion ni séparation.
Toutes ces diverses lignées du Dharma affirment que la multitude des existences et des phénomènes sont le même esprit équilibré et indivisé, il n’y a rien en dehors de cela ; et c’est bien ainsi seulement que les Bouddhistes comprennent l’essence de l’esprit. Ceci étant, comment pourrions-nous diviser cette réalité en corps et esprit, ou vie-et-mort et nirvana ? Nous sommes déjà des disciples du Bouddha. Ne prêtons donc pas même l’oreille aux sons émis par les langues des hérétiques qui répandent des vues non-bouddhistes.
*
Si quelqu’un demandait :
- Une personne dévouée à la pratique de Zazen doit-elle toujours respecter les préceptes sans faillir ?
Je dirais:
- Protéger les préceptes et une conduite pure, c’est la norme des lignées Zen et le comportement habituel des patriarches Bouddhistes. Mais ceux qui n’ont pas encore reçu les préceptes, ou qui les ont brisés, ne sont pas exclus du bénéfice de Zazen.
Si quelqu’un demandait :
- Y a-t-il quelque chose qui empêche un pratiquant de ce Zazen de pratiquer également les mantras et le vipassana ?
Je dirais:
- Lorsque j’étais en Chine, J’ai entendu l’essence des enseignements de la bouche même d’un maître authentique ; il disait qu’il n’avait jamais entendu parler d’aucun patriarche ayant reçu la transmission authentique du sceau du Bouddha qui eût suivi de telles pratiques par surcroît, que ce soit en Inde ou en Chine, jadis ou actuellement. Assurément, si nous ne nous consacrons pas complètement à une seule chose, nous n’atteindrons jamais la sagesse complète.
Si quelqu’un demandait :
- Les hommes et femmes laïcs peuvent ils aussi s’engager dans cette pratique, ou est-elle réservée seulement aux moines et nonnes ?
Je dirais:
- Un maître ancien a dit que, concernant le Dharma du Bouddha, nous ne devons pas discriminer entre hommes et femmes, noble ou commun.
(Image : extrait du manga Dôgen Maître Zen éditions Sully)