Ben signifie "faire un effort", "s'efforcer" ou "poursuivre", dô signifie "la voie" et par extension, "la vérité" et wa signifie "un sermon" ou une "histoire". Maître Dôgen se servait habituellement du mot bendô pour indiquer la pratique de zazen, et Bendôwa signifie donc un discours ou sermon sur la poursuite de la vérité, ou à propos de la pratique de zazen.
Lorsque les Bouddhas-Tathagatas, ayant chacun reçu la transmission de l’insurpassable Dharma, actualisent l’Éveil parfait, ils détiennent une méthode subtile qui est suprême et sans intention. La raison pour laquelle cette méthode est transmise sans écart uniquement de Bouddha à Bouddha, est que son principe réside dans le samadhi de la joie de son propre Éveil. Pour jouir de ce samadhi, la pratique de Zazen, dans la rectitude de la posture assise, a été établie comme la porte authentique.
Ce Dharma est abondamment présent dans chaque être humain, mais si nous ne le pratiquons pas, il ne se manifeste pas ; et si nous n’en faisons pas l’expérience, il ne peut être réalisé.
Dès que nous lâchons prise, il nous remplit les mains; comment pourrait-on le comptabiliser? Lorsque nous en parlons, il nous remplit la bouche et demeure inexprimable; il n’a aucune limite dans quelque direction que ce soit. Tandis que les Bouddhas demeurent constamment dans cet état et le protègent, les sensations ou les perceptions ne leur apparaissent pas comme des aspects indépendants de la réalité; et tandis que les êtres vivants sont soumis éternellement à cet état, il en est de même.
L’effort de poursuivre la vérité que j’enseigne maintenant transforme la multitude des phénomènes en une seule expérience réelle; il promulgue l’unité de la réalité sur la Voie de la libération. Au moment où les barrières tombent et où on se libère, comment un quelconque enseignement pourrait-il être approprié?
Après avoir fermement établi ma décision de rechercher le Dharma, j’ai rendu visite à divers maîtres aux quatre coins de notre pays. J’ai rencontré Myozen du temple Kennin. Neuf hivers et neuf printemps passèrent rapidement tandis que je le suivais, me familiarisant quelque peu avec les méthodes de la lignée Rinzai. Seul Myozen avait reçu la transmission authentique du suprême Dharma du Bouddha, en tant que disciple le plus excellent du maître fondateur, Maître Eisai – les autres disciples ne lui arrivaient pas à la cheville. Ensuite je partis pour le grand royaume de Sung, rendant visite à des maîtres à l’est et à l’ouest de Chekiang et entendant l’enseignement de la tradition par les portes des cinq lignées. Enfin je rendis visite au maître zen Nyojo de la montagne de Dai-byaku-ho, et je fus grâce à lui en mesure de mettre en œuvre la grande tâche d’une vie dévouée à la pratique.
Après cela, au début de la Grande ère Sung de Shojo, je rentrai chez moi résolu à répandre le Dharma et à sauver les êtres vivants – je me sentais porteur d’un lourd fardeau. Néanmoins, en attendant une opportunité qui me permettrait de m’acquitter du sens de ma mission, je pensais que je pourrais passer quelque temps à voguer comme un nuage, flottant de ci de là comme une herbe dans le courant, à la manière des sages des temps anciens.
Pourtant je considérai alors que s’il se trouvait quelques pratiquants sincères dont la priorité fût la recherche de la vérité, naturellement insouciants de la renommée et du profit, il se pourrait hélas qu’ils soient vainement trompés par de faux maîtres qui jetteraient ainsi un voile inutile sur la véritable compréhension. Ils pourraient négligemment s’enivrer de leur propre aveuglement et sombrer pour toujours dans l’illusion. Comment seraient-ils alors capables de cultiver les germes authentiques de la sagesse prajna et auraient-ils l’opportunité d’atteindre la vérité? Si j’étais absorbé à ce moment dans la vie flottante d’un nuage ou d’une herbe dans le courant, quelle montagne et quelle rivière devraient-ils visiter?
Sentant à quel point ceci risquait de créer une situation déplorable, je décidai de rédiger un recueil des règles et des préceptes que j’avais expérimentés moi-même dans les monastères zen du grand Royaume de Sung, en même temps qu’un traité des instructions profondes de mon maître que j’avais reçues et protégées. Ainsi je laisserai ce recueil à ceux qui souhaitent approfondir la pratique et qui sont intimes avec la vérité, de sorte qu’ils puissent connaître l’exact Dharma de la lignée du Bouddha. Voilà qui constituerait selon moi une mission authentique.
Le grand maître Shakyamuni lors du sermon sur le Mont des Vautours transmit le Dharma à Mahakashyapa. Le Dharma fut transmis authentiquement de patriarche à patriarche jusqu’au Vénérable Bodhidharma. Le Vénérable lui-même alla en Chine et transmit le Dharma au Grand Maître Eka. Ce fut la première transmission du Dharma du Bouddha en Chine. Transmis de personne à personne de cette manière, le Dharma arriva naturellement ainsi jusqu’au maître zen Daikan, le Sixième Patriarche.
À cette époque, tandis que le véritable Dharma du Bouddha se répandait à travers la Chine, il apparut clairement que la transmission était au-delà des textes. Le Sixième Patriarche eut deux excellents disciples, Nangaku Ejo et Seigen Gyoshi. Les deux ayant reçu et protégé la posture du Bouddha, furent des guides pour les êtres humains comme pour les dieux. Le Dharma fleurit et s’épanouit dans ces deux courants, puis cinq lignées en dérivèrent. Ces sectes sont appelées Hogen, Igyo, Soto, Unmon et Rinzai.
En Chine, de nos jours, seule la secte Rinzai prédomine partout dans le pays. Bien qu’il y ait des différences entre les cinq traditions, la posture au sceau de l’esprit du Bouddha est unique. Même dans le grand empire de Chine, bien qu’à la fin de la dynastie Han des textes bouddhistes aient tout d’abord été disséminés dans tout le pays, et aient laissé une certaine empreinte, personne n’était en mesure de déterminer lesquels étaient ou non éminents. Dès lors que le Maître Ancien fut venu de l’Ouest, il trancha cette confusion à la racine et répandit le Dharma du Bouddha sans écart. Nous devrions vivement souhaiter la même chose se produise dans notre pays.
Les soutras disent que les innombrables Bouddhas et patriarches qui ont demeuré dans le Dharma du Bouddha et et l’ont protégé, placèrent tous leur foi en l’assise verticale dans le samadhi de la joie de son propre Éveil, et considéraient cette pratique comme la voie véritable d’accès à la réalisation. Les êtres humains qui ont atteint la vérité, que ce soit en Inde ou en Chine, ont suivi cette pratique. Elle repose sur la transmission authentique et intime de la méthode subtile de maître à disciple, et la capacité à recevoir et protéger l’essence véritable des enseignements.
Dans la transmission authentique de notre école, il est dit que ce Dharma du Bouddha, qui a été transmis véritablement et directement de personne à personne, est la pratique suprême entre toutes. Dès notre première rencontre avec un véritable maître nous n’avons plus besoin de brûler de l’encens, de nous prosterner, de réciter le nom du Bouddha, de pratiquer la confession ou de lire les soutras. Il suffit seulement de s’asseoir et de se libérer du corps et d’esprit. Si un seul être humain, même pendant un seul instant, manifeste la posture du Bouddha dans l’attitude juste du corps et de l’esprit, alors, tandis même que cette personne est assise droite en samadhi, le monde entier du Dharma est inclus dans la posture du Bouddha et l’Espace tout entier atteint la réalisation. Donc cette pratique accroît la joie du Dharma qui est l’état originel des Bouddhas-Tathagatas, et réactualise la splendeur de leur réalisation de la vérité.
Qui plus est, à travers les mondes du Dharma dans les dix directions, le corps-esprit des êtres ordinaires des trois mondes et des six chemins devient transparent et pur; ils font l’expérience d’une grande libération, et leur visage originel apparaît. Alors tous les phénomènes expérimentent et comprennent la réalisation authentique et la multitude des existences livrent leur corps de Bouddha à la pratique; en un seul instant, transcendent totalement les limites de l’expérience de la compréhension; sont assis royalement sous l’arbre de la Bodhi; en un seul moment, activent la grande roue du Dharma qui est incomparable stabilité; et prêchent la sagesse prajna, ultime, dépouillée et profonde.
Cette réalisation juste et stable influence en retour le pratiquant, par le biais d’une interaction intime et invisible, de sorte qu’il se libère rapidement de son corps et de son esprit, abandonne les diverses vues erronées et le karma de la pensée, et expérimente ainsi le Dharma du Bouddha pur et naturel. À travers chacun des innombrables et inconcevables sièges de vérité des Bouddhas-Tathagatas, le pratiquant révèle l’œuvre du Bouddha et répand son influence très au-delà de lui-même et même jusqu’aux anciens éveillés, ravivant leur authentique boddhéité.
À ce moment, toutes choses dans l’univers dans les directions – le sol, la terre, l’herbe et les arbres; les barrières, les tuiles et les cailloux – réalisent l’Éveil du Bouddha. Les personnes qui reçoivent le mérite qui en provient sont intimement aidées par l’influence subtile et inconcevable de Bouddha, et exposent leur réalisation immédiate. Tous les êtres qui en jouissent répandent l’influence de Bouddha dans son expérience originelle, et de même ceux qui les côtoient sont tous réciproquement parés de la vertu sans limite de Bouddha.
Étendant et dispensant leur activité bien au-delà d’eux-mêmes, ils imprègnent l’intérieur et l’extérieur de l’univers entier du Dharma du Bouddha sans limite, incessant, inconcevable et incommensurable. Celui-ci n’est cependant pas obscurci par les conceptions de ces individus, car cet état de tranquillité sans intention est une expérience directe. Si nous séparons la pratique-expérience en deux parties selon la pensée couramment répandue, chaque partie peut être perçue et comprise séparément. Si nous mélangeons au contraire la perception et la compréhension, cela n’est pas pour autant conforme à l’expérience de cette réalisation, car cette expérience est au-delà des émotions illusoires. Bien que dans cette tranquillité, l’esprit et le monde extérieur atteignent ensemble la réalisation, il s’agit en réalité de la joie de son propre Éveil.
Pour cette raison les mouvements de l’esprit ou du monde extérieur, sans déranger la moindre molécule, accomplissent ensemble l’œuvre vaste et sans limite du Bouddha et dispensent son influence profonde et subtile. L’herbe, les arbres, le sol et la terre touchés par cette influence rayonnent d’une grande lumière et enseignent sans fin le Dharma subtil et profond.
L’herbe, les arbres, les barrières les murs enseignent à toutes les existences, personnes ordinaires comme aux saints. Et réciproquement, toutes les existences, ordinaires ou saintes, enseignent à l’herbe, aux arbres, aux barrières et aux murs. Le monde de notre conscience comme le monde de la conscience des objets extérieurs ne manquent de rien -ils sont d’ores et déjà dotés de la forme concrète de l’expérience réelle. L’expérience réelle de l’Éveil, une fois activée, ne cesse pas un seul moment.
Zazen, même s’il s’agit d’une seule personne assise un seul instant, entre donc en interaction invisible avec tous les phénomènes, et pénètre complètement tous les temps; pour cette raison il réalise dans tout l’univers illimité l’œuvre éternelle de l’influence bénéfique de Bouddha dans le passé, le futur et le présent. Pour chacun c’est exactement la même pratique et la même expérience. La pratique ne se borne pas seulement à l’assise; elle perfore l’espace et entre en résonance, comme le son d’un coup de cloche. Comment pourrait-elle être limitée à un seul endroit? Toutes les choses qui nous environnent détiennent le visage originel de la pratique; c’est au-delà de notre compréhension.
Sachez que même si les Bouddhas innombrables des dix directions, aussi nombreux que les grains de sable du Gange, unissaient tous leurs pouvoirs et toute leur sagesse pour évaluer ou expliquer le mérite de Zazen d’une seule personne, ils ne pourraient pas même s’en approcher.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire